LE DROIT À LA SANTÉ MENTALE DANS LES INSTITUTIONS : ENTRE OBLIGATIONS LÉGALES ET IMPENSÉS COLLECTIFS.

Publié par clementine le

LE DROIT À LA SANTÉ MENTALE DANS LES INSTITUTIONS : ENTRE OBLIGATIONS LÉGALES ET IMPENSÉS COLLECTIFS.

 

La santé mentale est désormais reconnue comme un élément fondamental de la santé, au même titre que la santé physique. Cette reconnaissance ne relève plus seulement du discours politique ou de la doctrine médicale : elle est également ancrée dans les textes internationaux, européens et nationaux, et dans une jurisprudence de plus en plus fournie. Pourtant, dans les faits, l’exercice effectif du droit à la santé mentale demeure lacunaire, voire théorique, au sein de nombreuses institutions.

L’hôpital, l’université, l’administration, les établissements médico-sociaux ou encore les grandes entreprises sont censés être les garants d’un cadre protecteur. Or, ces structures sont parfois elles-mêmes génératrices de mal-être, voire de souffrance psychique. Le paradoxe est donc profond : comment des institutions censées porter une mission d’intérêt général peuvent-elles devenir des lieux de vulnérabilité, d’épuisement ou de harcèlement ?

Entre obligations juridiques claires et pratiques collectives imprégnées d’impensés culturels, cet article interroge les conditions de mise en œuvre concrète du droit à la santé mentale dans les institutions, et les leviers mobilisables pour sortir de cette contradiction.

I. Un droit fondamental inscrit dans des textes juridiques de plus en plus précis.

1. Les fondements internationaux et nationaux.

Depuis plusieurs décennies, les textes internationaux insistent sur l’importance de la santé mentale comme droit fondamental. L’Organisation mondiale de la santé (OMS), dans sa Constitution de 1946 et plus encore dans son Plan d’action pour la santé mentale 2023–2030, insiste sur la nécessité pour chaque État d’assurer des environnements de travail favorables au bien-être psychologique.

La Charte sociale européenne révisée (1996) impose également aux États signataires de garantir “la sécurité et l’hygiène du travail” ainsi que “des conditions de travail équitables”, incluant la santé mentale.

En droit français, l’article L4121-1 du Code du travail institue une obligation de sécurité de l’employeur, couvrant explicitement la santé mentale depuis les arrêts de la Cour de cassation du 5 mars 2008. Cette obligation, renforcée par la loi n° 2021-1018 du 2 août 2021 relative à la santé au travail, impose aux employeurs d’identifier et de prévenir les risques psychosociaux, dans le cadre d’une démarche d’évaluation et de prévention.

2. La reconnaissance des troubles psychiques comme atteinte à la santé.

Le trouble psychique n’est plus considéré comme une simple plainte subjective. Il est reconnu, dans le cadre juridique, comme une atteinte objectivable à la santé, susceptible d’ouvrir droit à réparation. La jurisprudence prud’homale a notamment admis :
  • la reconnaissance du syndrome d’épuisement professionnel comme maladie professionnelle (TA de Melun, 15 juin 2021),
  • la réparation du préjudice d’anxiété lié à un environnement institutionnel délétère (Cass. soc., 11 septembre 2019, n° 18-17.442).

II. Un paradoxe structurel : quand les institutions produisent du déni.

1. Le décalage entre injonctions normatives et pratiques internes.

Alors que les institutions disposent désormais d’un corpus juridique clair, elles peinent à l’appliquer à elles-mêmes. La culture du “tenir bon”, l’idéal de vocation, la valorisation du sacrifice, particulièrement présents dans les secteurs de la santé, de l’enseignement ou du social, conduisent à une invisibilisation de la souffrance psychique.

Les agents ou salariés exposés à une pression excessive, des injonctions paradoxales ou un management toxique sont souvent renvoyés à leur supposée fragilité personnelle. Ce phénomène a été qualifié de “déni institutionnel du mal-être” par le Défenseur des droits (rapport 2023), qui souligne l’inefficacité des dispositifs de signalement interne et l’auto-censure des victimes.

2. Les impensés collectifs autour de la santé mentale.

La santé mentale reste, dans de nombreuses structures, un impensé organisationnel. Peu abordée, rarement formalisée dans les chartes internes, souvent confiée à des dispositifs RH peu outillés, elle ne bénéficie ni d’un cadre stratégique structuré ni d’une politique de prévention réelle. Ce décalage se manifeste par :
  • une minimisation des risques psychosociaux dans les documents uniques (DUERP),
  • des cellules d’écoute sous-dimensionnées ou sans suivi clinique réel,
  • une absence de formation des encadrants à la détection et à la régulation des signaux faibles.

III. Vers une effectivité du droit à la santé mentale : leviers et limites.

1. Des dispositifs juridiques mobilisables

Plusieurs leviers existent aujourd’hui pour faire reconnaître ou restaurer le droit à la santé mentale dans les institutions :
  • Le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) : outil central mais souvent sous-exploité dans son versant psychologique.
  • Les référents harcèlement moral et sexuel (obligatoires dans les structures de plus de 250 salariés).
  • Les interventions des CSE, qui peuvent déclencher des expertises en cas de risque grave (articles L2312-59 et suivants du Code du travail).
  • Les recours aux inspections du travail, aux Défenseurs syndicaux ou au Défenseur des droits.
  • Les expertises psychologiques privées ou indépendantes, utiles en contentieux ou en médiation.

2. Les freins persistants.

Plusieurs obstacles limitent l’effectivité de ces dispositifs :
  • Une méconnaissance des obligations légales par les directions.
  • Une crainte de judiciarisation, qui conduit certaines institutions à refuser l’ouverture de dispositifs psychologiques pérennes.
  • Une absence de moyens structurels pour intégrer une prévention de la santé mentale digne de ce nom.
  • Une culture du silence, entretenue par la peur des représailles ou la stigmatisation des lanceurs d’alerte.

IV. Le rôle de l’expertise psychologique externe dans la régulation des institutions.

Conclusion : le droit à la santé mentale comme exigence systémique.

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